Nuit murphique
Je viens de passer deux jours à Fujaïrah pour un séminaire de consolidation.
J'y pars les yeux fermés. Très en retard, des mails urgents à envoyer et notre serveur mail inactif jusque 5h30 en raison de la maintenance du réseau électrique (ou un truc à la mord-moi-l'noeud comme ça), bref : je devais partir à 5h pour arriver a Fujaïrah vers 8 heures et je ne pars qu'à 6h30... Énervé, fatigué par un début de semaine qui était éprouvant. Cela fait quinze jours que je ne dors pas - réveillé par des insomnies, stressé comme c'est pas permis au boulot.
J'ai imprimé le plan que ma collègue a préparé. Des carrefours circulaires à la pelle, des indications clés (la station epco, la mosquée, le marché), le plan du centre-ville de Fujaïrah (voir carte) où se situe l'hôtel...
À six heures, quitter Doubaï vers le nord (où crèche 80% de la population), c'est embouteillage garanti. Ça ne rate pas. Une heure et demi plus tard, je quitte Doubaï pour entrer dans Charjah. Il est huit heures.
Je prends la route des Émirats (Emirates road) vers le nord. Je m'arrête à la première station essence pour faire le plein et acheter une carte routière des Émirats.
- désolé, sir, on n'en a plus
- pour aller à Fujaïrah, je fais comment ?
- c'est simple, vous continuez sur la route des Émirats jusqu'au bout et vous tournez à droite.
Une erreur à ne pas faire : croire ce que vous dit un Indien. Il vous donnera toujours une information inexacte plutot que de vous dire qu'il ne sait pas.
J'ai suivi ses conseils et je me suis retrouvé tout en haut, à Ras al-Khaïmah, dans la pointe qui s'enfonce dans le détroit d'Ormuz... Et pas de panneau indicateur de Fujaïrah à droite... Éh merde... Re-station essence, requestion.
- continuez tout droit et dans cinq kilomètres, au premier feu rouge, au niveau du KFC, prenez à droite.
Il est neuf heures et quart, ouf, un panneau indique Fujaïrah, cent kilomètres et des poussières (alors que depuis Doubaï, je devais parcourir cent-vingt kilomètres à tout casser...). Je viens de faire l'un des plus longs détours de l'histoire de la conduite émirienne.
Cent-vingt kilomètres plus tard, j'arrive à Fujaïrah-city et aucune des indications du plan préparé par ma collègue ne colle avec la réalité. Le rond-point de Masafi, par exemple, n'existe pas. En revanche, un panneau indicateur m'informe de manière perverse que Masafi existe et est distante de quarante kilomètres... Non, non, c'est pas possible... il doit y avoir une place de Masafi dans Fujaïrah...
Je crève la dalle et m'arrête dans un KFC. Les Émirats sont en voie de californisation avancée : les deux jeunes Émiriens devant moi, conversent dans un parfait américain avec une serveuse philippine pour se commander de la bouffe kentuckienne. Remplacez la Filipina par une Chicana et le menu bilingue arabo-anglais par du bilingue hispano-anglais et vous êtes à San-Diego.
Je demande un dinner menu et de l'aide pour retrouver mon chemin. Je montre ma carte. Pour faire court : mon hôtel ne se trouve pas a Fujaïrah-city mais dans l'enclave, au nord de l'émirat, à côté du village de Dibba (indiqué sur la carte ci-dessus). J'ai fait cent kilomètres de routes tortueuses vers le sud, il faut que je m'en retape soixante-dix vers le nord d'où je viens... Il est onze heures moins le quart.
Onze heures et demi, je rentre dans l'hotel cinq étoile après avoir franchi le rond point de Masafi et atteint, puis dépassé le village de Dibba.
- vous avez une réservation au nom de Rémi D?
- non.
j'épelle mon nom, je donne le nom de la société moyen-orientale pour laquelle je bosse.
- non
Et merde... C'est la nuit la plus lose. Je me vois déjà en train de refaire la route en sens inverse vers Doubaï.
- C'est bien l'hôtel Rotana spa & resort ?
- ah non, sir, ici c'est le Jal spa & resort... Le Rotana est à vingt minutes d'ici en longeant la côte.
Il est minuit quand j'atteinds le Rotana. Épuisé comme c'est pas permi. Une petite attention qui change tout : une serviette imbibée d'eau glacée est offerte au voyageur qui débarque pour se rafraichir le visage et les mains. Ouf...
Dans la série loi de Murphy, je me demande si c'est cette soirée ou la sortie gaguesque de l'aéroport de Doubaï qui gagne le pompon de l'enchainement le plus louseur.