Regard et hypermodernité

Publié le par remi

Avant d'assister à cette conférence de Gérard Wajcman, il a fallu que je consulte l'article de Wikipédia sur l'hypermodernité. Comme ça arrive, j'ai été déçu de ne rien apprendre (l'hypermodernité fait suite à la modernité et à la postmodernité) ou pire, de faire face à de la fumisterie (l'hypermodernité est un espace).

 

En revanche, je suis sorti enchanté de la conférence. On n'a pas fait dans le philosofumeux, l'hypermodernité est l'état de ce qui est hypermoderne, technologique : GPS, vidéosurveillance, échographie, etc. Et ces technologies permettent une formidable explosion du traçage, du suivi des individus, de leur surveillance constante. Bref, une démultiplication du regard sur l'individu.

 

verbatim de la conférence (ou presque) :

 

Le GPS est un drôle d'instrument. Le sujet de la postmodernité (définie comme l'ère de la fin des idéaux et des idéologies) est notoirement désorienté. Ça n'est pas innocent qu'on a inventé un instrument qui lui dit constamment où il est, où il doit aller et comment.

 

Ce qui est neuf, c'est que non content d'être orienté, replacé dans un repère topologique, l'individu n'est plus le seul à savoir où il est. Des centaines de personnes peuvent, dotées des instruments adéquats, le suivre à la trace. De plus la voix du GPS est impérative : "prenez la première à droite à deux-cent mètres". Ça n'est pas un instrument de liberté mais d'esclavage, quasiment sadomasochiste. Le GPS, le Grand Penseur Suprême dans la désencyclopédie, est défini comme un esprit qui sait ou vous vous trouvez, ce que vous faites, mais surtout ou vous voulez aller.C'est assez vrai.

 

Nous sommes donc regardés, suivis, épiés, jamais perdus de vue dans ce que Wajcman qualifie de galaxie argos (une balise de géolocation mais aussi un monstre mythologique aux cents yeux). La vraie difficulté du monde hypermoderne est de disparaitre. D'où, sans doute, le succès de séries-télé comme Missing (Les Disparus), de films comme Villa Amalia.


Donc, avec le GPS, les caméras de vidéosurveillance omniprésentes dans les grandes villes, un regard panoptique se développe. Et, progressivement, l'État policier prend, littéralement, la place d'un Dieu omniscient et omnivoyant. Nous sommes plongés dans une mer de regards, nous avons un oeil au dessus de nous et ça n'est même pas celui de Dieu.

 

Jusqu'à il n'y a pas si longtemps, on attendait la naissance pour voir son enfant et lui donner un nom. Maintenant, avec l'échographie, on peut visualiser son futur enfant dès sa conception ou presque et savoir son sexe bien avant sa naissance. Cela a une influence indéniable sur les positions des anti-avortements.

 

Avec l'hypermodernité, on suit, on filme, on photographie l'individu partout où il est mais on le voit aussi à l'intérieur. C'est l'échographie, déjà mentionnée, les rayons X, l'imagerie médicale à résonnance nucléaire (IRM). Chez Wim Delvoye, le X de rayon X prend par ailleurs une autre dimension (lien vers le site de l'artiste dans l'image)

 

 

 

Wajcman raconte avec truculence, que des étudiants en psychologie ou psychiatrie avaient obtenus d'un hopital parisien de pouvoir utiliser l'IRM (de 3 à 5 heures du matin, quand la machine n'est pas utilisée à des fins médicales) et leur première question, ou presque, avait été de savoir si on pouvait faire l'amour dans la machine, pour détecter l'image de l'amour. Ça avait déjà été fait et était peu différent, nucléairement parlant, de celle obtenue d'un individu qui touille sa tasse de café. Même l'amour n'échappe pas, dans le monde hypermoderne, à la volonté, la puissance du "voir".

 

Ce qui est étonnant, c'est qu'il n'y ai pas plus de paranoïaques. Renversons la proposition que nous vendent nos élites étatiques : "on observe et trace tout le monde pour être surs d'attraper ceux qui dévient" et posons-nous la question de savoir si la volonté de pouvoir observer certains déviants n'est pas l'arbre qui cache la forêt du désir réel de pouvoir voir tout le monde.

 

Il y a une réelle criminalisation du citoyen, à priori considéré comme dangereux et surveillé en tant que tel. La caméra de vidéosurveillance a ceci de pervers, qu'elle porte le soupçon sur le quidam.

 

Gérard Wajcman conclut qu'aujourd'hui, être du côté des Lumières, c'est faire l'éloge de l'ombre, rejeter l'idéologie warholienne des projecteurs et du vedettariat, valoriser l'anonymat. "Je suggère qu'un héros de l'antiquité redevienne le notre, Persée qui vainc la Méduse dont le regard transperce les victimes."

 

 

 

 

 

 


 

Si on a lu l'article jusqu'ici, on pourra se délecter un peu plus avant en découvrant les lauréats de la cuvée 2009 du prix Big Brother (France).

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Deux regards sur une même conférence, j'aime bien.
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E
L'hypermodernité je voyais ça comme un hypermarché, ce que tu confirmes. Sauf à utiliser des cartes routières datant des années 90 (elles n'existent plus de nos jours sous cette forme) avec des routes qui n'existent plus, le GPS s'impose (sous forme de cadeau ce qui paraît être un bon sentiment). Il est comme la télé, on peut aussi couper le son ... ça dépend de la marque mais la voix masculine est tout à fait supportable. J'adore contrarier le GPS ... et il recalcule vite ! L'IRM met en évidence les zones actives de notre cerveau (ou ailleurs) mais ne traduit pas nos pensées en images réelles, c'est déjà ça !
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